M. Philippe Narmino « Je veille à ce que nous soyons ouverts et attentifs à l’entraide judiciaire internationale »

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S.E.M. Philippe Narmino est magistrat de formation, et diplômé de l’Ecole Nationale de la Magistrature française. Depuis 2006, il occupe les fonctions de Directeur des Services Judiciaires et Président du Conseil d’Etat de la Principauté.

Pouvez-vous préciser vos fonctions ?

Je suis chargé du Département de la Justice. La Direction des Services Judiciaires a été organisée en 1918 séparément de l’autorité administrative. Je détiens des pouvoirs similaires à ceux exercés, dans d’autres pays, par les ministres de la justice mais je ne siège pas au conseil de gouvernement.  Les ordonnances souveraines concernant les services judiciaires ne sont pas délibérées en conseil de gouvernement mais prises par S.A.S le Prince Albert II sur le rapport du Directeur des Services Judiciaires. La direction des services judiciaires est distincte de la direction des services exécutifs assurée par le Ministre d’Etat.

Vous êtes le premier Monégasque à exercer cette fonction

Effectivement. Les postes de la haute administration publique, réservés jusque là à des personnes de nationalité française, peuvent être occupés par des ressortissants monégasques depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle convention franco-monégasque de 2005 relative à la coopération administrative, ratifiée en 2008.

Lorsque j’ai été nommé en 2006, les deux Etats ont eu la volonté d’anticiper cette ratification.

Par ailleurs, cette convention permet aux Monégasques d’occuper tous les postes de la magistrature, ce qui n’était pas le cas avant. Les magistrats monégasques, comme leurs collègues français, sont formés en France à l’Ecole Nationale de la Magistrature.

Dans les instances internationales, le fait d’avoir un ministre de la justice de la nationalité de son pays simplifie les choses, certains doutes sont levés  auprès des interlocuteurs.

Pour mémoire en 2009, l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economique)  a retiré Monaco de la liste des pays non transparents. En 2013, l’OCDE délivre une appréciation positive de Monaco, aux côtés de pays tels l’Allemagne ou les Etats –Unis. Comment avez-vous accompagné la Principauté, afin qu’elle s’inscrive dans un mouvement global de transparence ?

La volonté de transparence est liée à l’adhésion de Monaco au Conseil de l’Europe le 5 octobre 2004.
La Direction des  Services Judiciaires est l’autorité centrale pour l’application de certaines conventions internationales adoptées sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies, du Conseil de l’Europe et de la Conférence de La Haye de droit international privé.
Je veille à ce que nous soyons ouverts et respections l’entraide judiciaire relevant de ces conventions. A Monaco, pays cosmopolite, les litiges comportent  souvent des éléments d’extranéité, d’où la nécessité d’échanges d’informations.
Nous devons rapporter à un certain nombre de comités d’experts, comme MONEYVAL (Comité d’experts sur l’évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme), GRECO (Groupe d’Etats contre la corruption) CEPEJ (Commission Européenne Pour l’Efficacité de la Justice), CPT (Comité européen pour la prévention contre la torture). J’y suis très attaché.

Un exemple concret ?

Le dernier rapport de la CEPEJ, en novembre dernier, note « la forte progression du budget monégasque alloué à la justice » qui s'élevait à 9 millions d'euros en 2010 et a été augmenté de plus d'un million d'euros en 2012. Le rapport précise que, « ramené au nombre d'habitants (...) Monaco se place en deuxième position derrière la Suisse ». Même si les 45 pays membres de Conseil de l’Europe ne sont pas comparables à de nombreux égards, c’est une satisfaction. Concernant les frais de justice, leur coût est supporté par la Direction des Services Judiciaires, et toutes sortes de moyens sont à disposition des juges, notamment des juges d’instruction, sans limitation. Les montants sont significatifs. C’est une nécessité si l’on souhaite disposer d’une justice indépendante, débarrassée de contraintes administratives et budgétaires. .
Un pays où travaillent plus de 50 000 salariés pour 36 000 habitants et où 4 000 entreprises génèrent plusieurs milliards d’euros de chiffre d’affaires connaît la contrepartie de ce dynamisme économique : des affaires portées devant la justice. Elles concernent des domaines très variés : les constructions, l’assurance, la banque, les successions… et même les problèmes de voisinage ! La liste des litiges relevant du droit civil ou commercial est très longue. Sans compter tous les problèmes liés au droit des sociétés, aux conflits entre actionnaires…

Revenons à la transparence. Comment la favorisez-vous ?

La transparence est assurée par la coopération judiciaire lorsqu’un Etat nous demande officiellement des renseignements, parce qu’une enquête est ouverte, une procédure en cours, et qu’il doit chercher à l’extérieur – en l’occurrence à Monaco - les informations nécessaires à son bon déroulement.
Si l’Etat requérant a signé une convention  avec Monaco, on l’applique.
Sinon, on applique le principe de courtoisie en vigueur dans les relations entre Etats. On accepte d’exécuter la demande de renseignements :

  • à condition de bénéficier d une réciprocité.
  • et suivant le principe de spécialité: les renseignements obtenus dans le cadre d'une entraide ne peuvent être utilisés dans une procédure autre que celle ayant donné lieu à la demande.
  • la demande de renseignements pourra être refusée pour des infractions purement fiscales, dès lors que la Principauté de Monaco n’établit pas d’imposition directe et donc d’infraction liée à des fraudes dans ce domaine.

En matière de fraude organisée à la TVA, l’entraide est accordée. Il faut signaler que Monaco vit avec des taxes : TVA, droits de mutation… nous ne sommes pas un paradis fiscal. Comme vous le savez, l’essentiel des évasions fiscales dans le monde sont à rechercher   en dehors  de Monaco. Par ailleurs, la Principauté  va parfois plus loin que le seul échange de renseignements. Des représentants officiels de l’Etat requérant peuvent se déplacer dans l’Etat requis, et vice versa.

Les rapports de vos services avec l’Association Monégasque des Activités Financières (AMAF) sont-ils étroits ?

Depuis plusieurs années, nous communiquons à l’AMAF l’intégralité des décisions rendues par la justice civile dans le domaine bancaire (mettant en cause la responsabilité des banques). Les questions liées à la responsabilité bancaire font l’objet de quelques décisions de justice chaque année, et l’AMAF n’ignore aucune des décisions prises.