29
septembre
2025
Perspectives

Monaco, modèle de stabilité face aux rivalités économiques mondiales

Invitée de marque du Salon Monaco Business, Mme Mathilde Lemoine, Group Chief Economist et membre du Global Investment Committee d’Edmond de Rothschild, a partagé son analyse des grandes mutations économiques mondiales. Elle a également livré un éclairage précieux sur la singularité du modèle monégasque.

Vous avez évoqué un contexte économique mondial inédit. Qu’entendez-vous par là ?

Effectivement, nous traversons une période singulière depuis Bretton Woods. Pour la première fois, nous passons d’un système de mondialisation à un système de rivalité de puissances. Les États-Unis ont choisi de rééquilibrer leurs rapports de force économiques, en augmentant fortement les droits de douane, non seulement vis-à-vis de la Chine mais aussi de l’Union européenne et de nombreux partenaires.
Derrière cette politique se cache un objectif clair : retrouver une puissance industrielle face à la Chine, aujourd’hui première puissance manufacturière mondiale. Ce changement de paradigme entraîne une incertitude historique, deux fois plus élevée qu’en 2001, mais il génère aussi une dynamique d’investissement liée à la souveraineté : qu’il s’agisse d’investissements économiques, militaires ou technologiques.

Quelles conséquences pour l’Europe dans ce nouvel environnement ?

L’Europe, aujourd’hui, reste défensive. Elle continue trop souvent à voir le monde tel qu’elle souhaiterait qu’il soit, plutôt que tel qu’il est. Les États-Unis, mais aussi la Chine, investissent massivement, tandis que l’Europe a manqué le virage de l’investissement en capital physique et humain.
Nous avons accumulé des crises successives – financière, dettes souveraines, pandémie, crise énergétique – sans dégager de stratégie offensive. Nos politiques ont davantage soutenu la consommation que l’investissement productif. Pourtant, face au vieillissement de la population et aux bouleversements technologiques, l’Europe doit investir davantage dans l’innovation et dans le capital humain, à travers l’éducation et la formation continue.
Certains pays du sud, comme l’Espagne et l’Italie, ont su profiter des fonds européens pour moderniser leur économie. Mais globalement, il est urgent que l’Europe adopte une vision de long terme, stratégique et offensive.

La transition énergétique est-elle un risque ou une opportunité ?

C’est une opportunité majeure, à condition de la considérer comme un investissement et non comme un simple coût. Monaco en est un exemple éclairant, avec des initiatives pionnières comme la thalassothermie ou la diversification énergétique. Ces choix créent un écosystème innovant et durable.
En revanche, l’Europe souffre d’un manque de lisibilité et de cohérence dans sa stratégie énergétique. Les chefs d’entreprise n’hésitent pas à dire que ce n’est pas la hausse du prix de l’énergie qui les inquiète le plus, mais l’absence de vision claire source d’incertitude. Or, la transition énergétique doit être un moteur de souveraineté et de compétitivité, et non un facteur supplémentaire de dépendance, notamment à l’égard de la Chine.

Quels impacts constatez-vous sur les marchés financiers et les dettes souveraines ?

La stratégie américaine a profondément transformé les marchés obligataires. Aujourd’hui, plus de la moitié de la dette américaine est détenue par des résidents américains, ce qui réduit la dépendance aux investisseurs étrangers. Cela génère une certaine volatilité, notamment sur les taux longs et sur le marché des changes, mais c’est le résultat d’une politique assumée de souveraineté économique.
Pour les pays européens, et particulièrement pour la France, l’augmentation des taux d’intérêt à long terme est problématique. Elle reflète une montée de l’incertitude plutôt que de la croissance. Cela pèse sur la capacité d’investissement des entreprises et fragilise la soutenabilité de sa dette publique.

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Venons-en à Monaco : quel regard portez-vous sur le modèle monégasque ?

La Principauté dispose d’un modèle singulier et adapté au contexte actuel. Sa stabilité institutionnelle constitue un atout déterminant, qui crée ce que nous appelons une « prime de risque positive ». En d’autres termes, la visibilité et la constance offertes par Monaco renforcent sa crédibilité auprès des investisseurs.
La Principauté a su anticiper sur des enjeux majeurs : transition énergétique, diversification économique, attractivité des talents. Elle bénéficie d’une croissance supérieure à celle de la zone euro et d’une insertion réussie dans les réseaux internationaux. Dans une phase de transition mondiale, où l’incertitude domine, cette capacité d’agilité et cette cohérence stratégique sont des atouts.
Monaco n’est pas seulement une valeur refuge. C’est une économie dynamique, capable d’innover et de s’adapter. Sa position géographique, son rôle de carrefour et son ouverture internationale en font un hub attractif, non seulement pour la finance et l’immobilier, mais aussi pour les entreprises technologiques et les startups.

En conclusion, quel message adresseriez-vous aux décideurs et aux investisseurs ?

Il faut rester lucide, car nous vivons une période d’incertitude structurelle. Mais il faut aussi rester confiants : la transition vers un nouveau système mondial crée de nouvelles opportunités, notamment dans les secteurs liés à la souveraineté, à l’innovation et à la transition énergétique.
La clé réside dans la capacité des États et des entreprises à investir dans le long terme et à développer leur capital humain. Dans ce domaine, Monaco a pris une longueur d’avance, et son exemple peut inspirer au-delà de ses frontières.

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