19
novembre
2025
Perspectives

Cryptoactifs et banque privée : l’audace maîtrisée.

Alors que JPMorgan ouvre la voie en acceptant le Bitcoin et l’Ethereum comme garanties de prêt, Francesco Grosoli, Administrateur Délégué de CMB Monaco, livre sa vision d’une innovation qui ne doit jamais se faire au détriment de la rigueur. Entre curiosité pour le Web3 et exigence de conformité, il plaide pour une intégration progressive, guidée par la protection du patrimoine et la solidité du cadre réglementaire.

Cette décision de JPMorgan marque-t-elle, selon vous, le début d’une intégration du Web3 dans la finance privée traditionnelle ?

La décision de JPMorgan illustre une tendance de fond : le monde bancaire observe de près l’évolution du Web3 et cherche à en comprendre les usages financiers. Cela dit, il ne s’agit pas encore d’une intégration à grande échelle, mais plutôt d’une expérimentation encadrée dans des environnements très spécifiques.

Tout l’enjeu est d’avancer sans crainte face à l’innovation, tout en restant fidèle à notre exigence de rigueur et de protection du patrimoine. C’est un véritable exercice d’équilibre : il faut savoir accueillir les transformations technologiques, qu’il s’agisse du Web3 ou de l’intelligence artificielle, sans jamais faire de compromis sur la sécurité. 

Notre rôle est d’évaluer ces innovations avec discernement, d’en comprendre la valeur ajoutée pour nos clients, et de les intégrer au moment où elles deviennent réellement créatrices de valeur sous réserve qu’elles aient un cadre règlementaire défini. C’est d’ailleurs la philosophie qui guide notre stratégie de digitalisation, qui nous permet de conjuguer modernité, efficacité et sécurité dans la relation client.

Les banques privées comme la CMB pourraient-elles un jour envisager d’accepter des cryptoactifs en garantie, ne serait-ce que pour une clientèle très spécifique ?

Pour CMB Monaco, la priorité reste la protection du patrimoine, la traçabilité des opérations et la stabilité des valorisations. Avant d’intégrer ce type d’actifs dans nos pratiques – car oui c’est désormais une asset class à part entière – nous souhaitons nous assurer que le cadre juridique, fiscal et prudentiel soit parfaitement défini et aligné avec nos standards de conformité et avec les attentes de notre clientèle.

Notre approche est donc volontairement progressive : CMB Monaco a souvent été précurseur sur les grands virages technologiques, nous le serons peut-être aussi sur celui-ci, mais au moment où l’innovation et la fiabilité seront pleinement compatibles.

Faut-il y voir un mouvement d’innovation ou une manœuvre défensive pour ne pas laisser le terrain aux acteurs crypto-natifs ?

C’est probablement un peu des deux. Les grandes institutions financières testent ces usages pour ne pas se laisser distancer technologiquement, tout en cherchant à comprendre comment encadrer ces nouveaux actifs de manière responsable.

Chez CMB Monaco, nous partageons cette volonté d’innovation, mais dans une approche maîtrisée et alignée avec notre mission première : protéger le patrimoine de nos clients dans un environnement en pleine mutation. Notre stratégie digitale, illustrée notamment par la modernisation continue de nos outils, vise à offrir à nos clients le meilleur de la technologie sans perdre de vue l’exigence de conformité. 

Comment une banque traditionnelle peut-elle évaluer et gérer le risque d’un actif aussi volatil que le Bitcoin dans un cadre prudentiel ?

C’est précisément l’une des principales difficultés. Compte tenu de sa forte volatilité et de la complexité des risques liés au Bitcoin, une banque traditionnelle doit adopter une approche rigoureuse pour l’évaluation et la gestion de ce cryptoactif. Cela implique l’analyse de sa volatilité, de la liquidité du marché et des risques opérationnels spécifiques. La gestion prudentielle doit s’appuyer sur un encadrement réglementaire strict, la limitation des expositions, une surveillance continue et la réalisation de stress tests afin de garantir la résilience de la banque et la sécurité de ses clients.

La réglementation européenne (MiCA notamment) rend-elle aujourd’hui envisageable ce type de pratique pour une banque opérant à Monaco ?

Si le cadre européen MiCA constitue une avancée notable vers une régulation harmonisée des crypto-actifs, il n’est pas encore pleinement opérationnel à ce jour. À Monaco, les établissements bancaires demeurent soumis à un dispositif réglementaire distinct, souvent plus exigeant en matière de conformité. Les institutions monégasques évoluent dans un environnement aligné sur les standards européens, tout en respectant des obligations supplémentaires imposées par le droit local et les accords internationaux en vigueur.

Pensez-vous que les exigences de transparence et de conformité (KYC, AML) sont compatibles avec une telle ouverture aux actifs numériques ?

C’est un défi majeur. Les exigences de transparence et de conformité sont au cœur du modèle de la banque privée monégasque. Or, l’écosystème des crypto-actifs, même s’il se structure, reste encore marqué par des zones d’opacité.  Je dirais donc que techniquement oui, les exigences de transparence et de conformité peuvent être compatibles avec ces actifs numériques à condition de mettre en place des dispositifs de contrôle renforcés et de s’appuyer sur un cadre règlementaire clair.  CMB Monaco assure une veille active et systématique sur les évolutions du cadre réglementaire applicable aux actifs numériques. Une cellule d’experts dédiée a été instituée en interne, afin d’analyser, anticiper et garantir la conformité des pratiques de la Banque avec les exigences légales et prudentielles en vigueur. Notre approche consiste à appréhender ces nouveaux modèles, afin d’être prêts à les intégrer pleinement le jour où les standards de sécurité, de conformité et de transparence atteindront le niveau que nous exigeons pour nos clients.

Photo :Philippe Fitte

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