01
décembre
2025
Perspectives

l’Africa Day à Monaco : une fenêtre ouverte sur l’Afrique et le secteur bancaire africain.

Entretien avec Paul Derreumaux, Président d’Honneur de Bank of Africa.

À l’occasion de la 4ᵉ édition de l’Africa Day, rendez-vous annuel du Club des Entrepreneurs Monégasques en Afrique, Paul Derreumaux, Président d’Honneur de Bank of Africa et observateur privilégié des systèmes financiers africains, a livré une analyse précise des dynamiques qui transforment le secteur bancaire du continent. Il revient ici sur l’évolution historique des établissements africains et sur les nouvelles forces qui façonneront la prochaine décennie.

Vous décrivez un paysage bancaire africain structuré autour de trois grands blocs régionaux. Comment se répartissent-ils aujourd’hui ?


Le système bancaire africain repose sur trois ensembles distincts. Le premier, celui d’Afrique du Sud, a longtemps dominé, même si aujourd’hui une seule de ses institutions occupe encore une place parmi les trois premières du continent. Le second est composé des banques d’Afrique du Nord, issues d’Algérie, d’Égypte et du Maroc, avec des groupes marocains qui se sont imposés de longue date et plusieurs établissements égyptiens dont deux viennent de prendre place sur le podium de tête. Enfin, un troisième ensemble rassemble les banques subsahariennes, dont plusieurs originaires du Nigeria. Ce dernier bloc est le plus jeune, mais il s’affirme progressivement et occupe une place croissante dans l’équilibre général du secteur.

Vous avez retracé l’évolution des banques subsahariennes. Quels ont été les grands tournants de cette histoire encore récente ?


L’histoire des banques subsahariennes a été marquée par une succession de transformations profondes. Tout commence dans les années 1980, lorsqu’une crise bancaire systémique frappe le continent. Les banques publiques de développement sont durement touchées et nombre d’entre elles disparaissent. Les acteurs étrangers, pour la plupart britanniques et français, interrompent leurs stratégies d’expansion. Ce contexte déclenche l’émergence d’une nouvelle génération d’établissements privés à capitaux africains, souvent nés de rachats d’actifs, comme au Nigeria, au Kenya ou au Ghana, ou créés de toutes pièces, comme en Afrique francophone. C’est à cette période que voient le jour des groupes comme Ecobank ou Bank of Africa.

La décennie 1990 et la première moitié des années 2000 s’inscrivent ensuite dans une dynamique très favorable. La croissance économique est soutenue, le climat d’« afro-optimisme » domine et les autorités monétaires renforcent de manière significative la supervision et les exigences prudentielles. Les banques se consolident alors dans leurs marchés nationaux, tandis que, dans les unions monétaires comme l’UEMOA ou la CEMAC, apparaissent les premières architectures régionales structurées autour de filiales dans plusieurs pays.

À partir de 2005, une nouvelle phase s’ouvre avec le décloisonnement progressif des marchés africains. Les banques marocaines s’implantent en Afrique de l’Ouest, les groupes nigérians gagnent du terrain en Afrique francophone et en Afrique de l’Est, et plusieurs acteurs occidentaux amorcent leur retrait. La recomposition du paysage devient visible dans l’ensemble des régions.

Les années suivantes voient la montée en puissance progressive des banques subsahariennes. Alors que les contextes économiques ralentissent dans certaines zones et freinent les perspectives d’expansion des groupes d’Afrique du Nord ou d’Afrique du Sud, des institutions subsahariennes trouvent au contraire de nouveaux relais de croissance, notamment en Afrique de l’Ouest.

Nous entrons aujourd’hui dans une nouvelle période, marquée par un durcissement très net des exigences en capital. Le mouvement est spectaculaire au Nigeria, où le capital minimum exigé pour les banques d’envergure internationale passe de 25 à 500 milliards de nairas, soit environ 300 millions de dollars. L’Égypte adopte des mesures similaires, tandis que le Ghana, le Kenya, la RDC et plusieurs autres juridictions rehaussent également leurs exigences. Même l’UEMOA, traditionnellement plus stable en la matière, a engagé une révision de ses seuils. Ce courant réglementaire ouvre une nouvelle étape qui influence d’ores et déjà les stratégies des acteurs.

Quelles conséquences ce relèvement massif des exigences en capital va-t-il entraîner pour les banques africaines ?


Ce mouvement va inévitablement accélérer la consolidation du secteur. Les établissements les plus solides et les mieux gouvernés seront en mesure de franchir les nouveaux seuils, tandis que d’autres devront envisager des regroupements ou des augmentations de capital. À terme, le cadre prudentiel renforcé contribuera à accroître la résilience des systèmes bancaires nationaux, à améliorer la gestion des risques et à rendre les marchés africains plus attractifs pour les investisseurs internationaux.

Peut-on imaginer une nouvelle vague d’expansion transfrontalière à la faveur de ces évolutions ?


Oui, mais elle sera sans doute plus sélective et plus structurée que les précédentes. Les acteurs capables de mobiliser les capitaux nécessaires auront les moyens d’envisager une expansion régionale ou continentale. Certaines zones, notamment l’Afrique de l’Ouest francophone, continueront d’attirer les groupes en recherche de croissance. Les banques subsahariennes les plus avancées disposent désormais d’une maturité et de ressources suffisantes pour projeter une stratégie au-delà de leurs frontières historiques.

Quelle conclusion tirez-vous de cette nouvelle dynamique ?


Le secteur bancaire africain, et en particulier subsaharien, est entré dans une nouvelle mutation. La montée des exigences réglementaires, la professionnalisation accrue des acteurs et l’évolution des équilibres régionaux ouvrent en effet une période de transformation profonde. Elle peut mener vers un système bancaire plus robuste, plus intégré et davantage en capacité d’accompagner les ambitions économiques du continent. Les banques et avant tout les plus puissantes auront pour cela à relever efficacement les défis qui demeurent. Renforcer leur place dans les concours à l’économie, améliorer le financement des petites entreprises et de l’habitat, affronter la concurrence de nouveaux acteurs pour les moyens de paiement figureront parmi les priorités.

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