Lors de la seconde table ronde organisée par l’AMAF à l’IMpower Fund Forum, trois experts : Sérène El Masri (CEO UBP) Nicolas Feit (CEO Société Générale Private Banking), et Justin Highman (Deputy CEO Monaco Economic Board) ont croisé leurs regards sur les spécificités de la clientèle monégasque, les tendances d’investissement, la pression réglementaire croissante et les stratégies d’attractivité. Une discussion à plusieurs voix.
Dès l’introduction, Sérène El Masri, CEO de UBP Monaco, pose le décor : à Monaco, il est impossible de définir un profil unique d’investisseur. « La Principauté attire des clients du monde entier : Britanniques, Italiens, Suisses, Européens de l’Est, Moyen-Orientaux… Leur comportement financier reflète souvent celui en vigueur dans leur pays d’origine, avec un dénominateur commun : une valeur nette supérieure à la moyenne des autres Places financières. »
Nicolas Feit, complète : « 10 % des clients représentent environ 70 % des encours sous gestion à Monaco, soit sur une base totale de 170 milliards d’euros. » Ces ultra high net worth individuals disposent d’un accès large aux solutions financières, avec une appétence croissante pour la diversification et les investissements alternatifs, notamment le private equity.
Interrogé sur l’impact de la durabilité, Nicolas Feit distingue deux groupes :
« Certains clients ne s’y intéressent pas du tout, d’autres au contraire y attachent une grande importance, surtout dans le cadre de leur fondation ou de leur engagement philanthropique. Ils exigent une transparence totale sur les investissements. »
Il rappelle aussi l’importance du Blue Economy Finance Forum tenu récemment à Monaco, en lien avec l’ADN maritime promu par le Prince Souverain. La finance bleue est ainsi identifiée comme un axe de différenciation stratégique.
Dans un contexte d’incertitudes géopolitiques, de volatilité des marchés et de normalisation des taux, le comportement des clients évolue. Sérène El Masri note : « Pour la première fois, nous voyons les clients se focaliser fortement sur le risque de change. » La majorité reste dans une logique attentiste. « En revanche, leurs enfants, plus jeunes, s’intéressent plus particulièrement aux marchés actions.
Les actifs non corrélés comme les hedge funds, la dette privée semi-liquide ou l’immobilier suscitent également beaucoup d’intérêt. Le retour à un environnement de taux bas, comme en Suisse où les taux sont à zéro, incite aussi les clients à prendre davantage de risques afin d’obtenir de meilleurs rendements, que ce soit sur leurs portefeuilles ou leurs biens immobiliers.
Sérène El Masri détaille l’ampleur du défi réglementaire auquel font face les établissements à Monaco. « Nous sommes régulés par au moins sept autorités : monégasques, françaises – qui nous délivrent les agréments bancaires – et par celles des pays d’origine de nos établissements. Cela signifie que nous devons en tout temps nous conformer à la réglementation adoptée par l’ensemble de ces juridictions. »
Elle clarifie aussi la situation actuelle : « Monaco est inscrite sur la liste grise du GAFI depuis juin 2024, en raison d’insuffisances identifiées dans son dispositif de lutte contre le blanchiment. Cette inscription a – mécaniquement – entraîné son ajout à la liste grise de l’Union européenne (UE). Toutefois et contrairement à certaines informations erronées, la Principauté ne figure pas sur la liste noire de l’UE. Pour rappel, cette liste est constituée des pays membres de l’OCDE présentant des défaillances en matière de conformité fiscale. Or, le dispositif NCD/CRS de la Principauté, qui est lui aussi régulièrement audité, n’a pas été identifié comme défaillant. »
L’ajout de Monaco à la liste grise de l’UE n’a pas été sans conséquences pour les banques locales. Il a notamment entraîné un renforcement drastique des contrôles et des exigences vis-à-vis des clients, suscitant l’incompréhension et l’irritation de nombre d’entre eux. « De manière générale, les banques monégasques étaient déjà en avance par rapport à de nombreuses autres places financières en matière de lutte anti-blanchiment, puisqu’elles appliquent les standards européens ou encore britanniques. Désormais, nous sommes tenus d’aller encore plus loin. »
Parmi les autres obligations réglementaires évoquées : le RGPD local, les réglementations faisant suite à la disparition de Credit Suisse relatives aux risques prudentiels et environnementaux, les sanctions internationales (Russie, Bélarus, etc.), sans oublier le règlement européen DORA sur la résilience opérationnelle numérique.
Sérène El Masri ajoute : « Cela dit, l’adoption de ces nouvelles exigences réglementaires démontre aussi la forte résilience de la place financière monégasque. En effet, en 2024, elle enregistrait à nouveau d’excellents résultats, soutenus par la solide capacité des banques locales à attirer de nouveaux clients. »
Justin Highman, expose le rôle de son organisation : « Le MEB est une structure hybride, à la fois chambre de commerce et agence de promotion économique. Nous aidons les entrepreneurs et les investisseurs à envisager Monaco comme une destination d’affaires. »
Pour promouvoir la Principauté, plusieurs formats sont utilisés : conférences locales avec intervenants de renom, accueils de délégations étrangères, missions économiques à l’international. « À Abu Dhabi par exemple, cinq banques étaient avec nous pour rencontrer family offices et centres financiers. »
Des événements sur mesure sont également organisés dans les ambassades de Monaco à l’étranger, en deux volets : un pour les conseillers (avocats, banquiers, family officers), un autre pour les entrepreneurs. « L’objectif est de semer une graine, pas de vendre à tout prix. »
Côté innovation, Nicolas Feit note un intérêt certain des clients pour des actifs comme les stablecoins. « Nous avons reçu de nombreuses demandes d’informations au moment de leur lancement. » Mais il insiste aussi sur les enjeux de cybersécurité, en particulier pour une place aussi exposée que Monaco. L’intelligence artificielle est vue comme un levier d’efficacité, mais son usage devra être rigoureusement encadré.
Sur ce point, la création d’un cloud souverain monégasque est évoquée comme une réponse à la protection des données sensibles.
Monaco reste très attractif pour des clients non-résidents : « 40 % des actifs sous gestion appartiennent à des clients vivant hors de Monaco », rappelle Nicolas Feit. Certains souhaitent diversifier en ouvrant des comptes à Zurich, Londres ou Luxembourg. D’autres préfèrent tout centraliser en Principauté, pour bénéficier d’une expertise pointue et d’un cadre plus souple. D’autant plus que le cadre réglementaire est parfois différent, MiFID pour l’Europe et LSFin pour la Suisse par exemple.
Monaco reste une place singulière, à la fois concentrée et ouverte, traditionnelle et tournée vers l’innovation, soumise à des contraintes mais riche d’opportunités. Dans ce monde incertain, les clients comme les banques cherchent clarté, conseil… et stabilité. Un rôle que la Principauté semble bien décidée à assumer