Économiste reconnu, classé parmi les meilleurs prévisionnistes mondiaux, Christophe Barraud a rejoint LIOR Global Partners début octobre 2025. Il y dirige aujourd’hui la Gestion Discrétionnaire et la Recherche, après près de quinze années passées dans le courtage à accompagner hedge funds, banques, fonds de pension et family offices. Désormais engagé dans la gestion d’actifs, il poursuit une activité macroéconomique de haut niveau, destinée aussi bien aux investisseurs institutionnels qu’aux clients à valeur nette élevée.
Chez LIOR, deux métiers coexistent : l’asset management et le wealth management. Je prends la responsabilité de la gestion discrétionnaire et de l’ensemble de la recherche. L’objectif est de lancer un fonds — possiblement plusieurs — d’ici la fin du premier trimestre ou le début du deuxième trimestre 2026, selon les délais réglementaires. Côté recherche, je poursuis exactement ce que je faisais : une analyse approfondie pour une clientèle institutionnelle historique, tout en produisant une version plus accessible pour les clients privés. Je m’appuie sur des professionnels aguerris qui maîtrisent toute la dimension administrative de la gestion, ce qui me permet de me concentrer sur l’analyse et les décisions d’investissement. Et je reste basé à Monaco, ce qui était un point important.
Le problème numéro un en Chine est la confiance des ménages, revenue aux niveaux observés juste après le Covid. Or cette confiance dépend avant tout de l’immobilier, car entre 60 % et 70 % de la richesse des ménages chinois repose sur la valeur de leur logement. Aujourd’hui, les prix continuent de reculer, de l’ordre de 5 % en variation mensuelle annualisée, on observe même une accélération récente. Cet effet richesse négatif pèse mécaniquement sur la consommation.
Avant d’espérer relancer la demande intérieure, il faut stabiliser le marché immobilier. Cela passera sans doute par un plan d’ampleur vers 2026, peut-être annoncé avant le Nouvel An chinois. On peut s’attendre à un nouvel assouplissement des restrictions d’achat, à des baisses supplémentaires des taux hypothécaires — sur les nouveaux prêts comme sur les prêts existants — ainsi qu’à des mesures fiscales et budgétaires plus incitatives.
Une fois cette première étape franchie, Pékin devra restaurer la confiance en renforçant la protection sociale, en aidant les familles, en agissant sur le coût de l’éducation. L’idée est de rapprocher la structure sociale chinoise de celle des pays développés. Pékin a déjà renforcé les aides à la consommation, notamment pour les véhicules électriques ou certains produits électroniques, et ces dispositifs pourraient être prolongés. Quand on sait que la consommation ne représente encore qu’environ 40 % du PIB chinois, contre plus de 70 % aux États-Unis, la marge de progression est considérable. C’est d’autant plus important que la Chine doit aussi gérer un choc démographique négatif.
Je ne crois pas. Après un premier plan de stabilisation à l’automne 2024 qui a offert un répit de quelques mois, les prix ont recommencé à baisser. Le point bas n’est pas atteint tant que Pékin n’aura pas mené un plan beaucoup plus global, combinant le soutien aux promoteurs, l’assainissement des acteurs les plus fragiles, une action forte sur le financement et le crédit, et probablement une absorption directe ou indirecte d’une partie de l’excès d’offre. Tant que cet ajustement n’aura pas eu lieu, l’immobilier restera un puissant facteur déflationniste.
L’objectif chinois ne se limite pas à l’autosuffisance. Historiquement, la Chine commence par vouloir être autonome, puis cherche à devenir leader et exporter. C’est le schéma qu’elle a suivi dans la cadre des véhicules électriques, la téléphonie mobile ou encore les équipements industriels.
Dans l’IA, 2025 marque l’émergence de modèles chinois capables de rivaliser avec les modèles occidentaux. Certains acteurs, dont Alibaba, ont développé des solutions dont les performances se rapprochent des standards américains. DeepSeek (agent IA conversationnel) est encore légèrement en retrait, mais le coût de traitement des requêtes est jusqu’à cinquante fois plus faible dans certains cas, ce qui change radicalement les perspectives de marché en Asie.
Parallèlement, la Chine est déjà en avance dans plusieurs domaines : la robotique, les drones, une partie du cloud, le calcul haute performance et bien sûr les véhicules électriques. La dynamique est très similaire : des produits fiables, compétitifs et destinés à s’exporter massivement.
La Chine reste importatrice de semi-conducteurs, notamment de puces de pointe, mais elle progresse rapidement et vise un taux d’autosuffisance autour de 70 % dans un premier temps. Les autorités poussent dans ce sens, comme en témoignent les communications officielles sur l’augmentation de la production locale, notamment chez Huawei.
Le rapport de force réel se situe cependant sur les terres rares. La Chine contrôle au moins 70 % de leur production et de leur raffinage à l’échelle mondiale. Ces matériaux sont indispensables à toutes les technologies de demain. L’épisode récent où Pékin a laissé entendre qu’il pourrait restreindre leurs exportations juste avant le G7 a été très instructif : la seule menace a suffi à éclipser le sommet. Cela montre que, sur certaines ressources critiques, c’est la Chine qui détient l’avantage. Cela montre aussi les limites des stratégies occidentales basées sur les droits de douane, qui se traduisent par de l’inflation importée et nuisent parfois à des secteurs clés comme l’agriculture américaine.
Les États-Unis présentent aujourd’hui trois formes de dichotomie. D’abord une dichotomie sociale : les classes sociales les plus basses souffrent d’une croissance limitée de leurs salaires, tandis que les créations d’emplois se concentrent dans les secteurs qualifiés. L’IA menace certains métiers peu rémunérés, et les taux de défaut sur les cartes de crédit ou les prêts automobiles sont au plus haut depuis 2011. Même lorsque la Fed baisse ses taux, le crédit à la consommation devient plus cher car le risque perçu augmente.
Il existe ensuite une dichotomie sectorielle. Les secteurs liés à l’IA, au software et à la technologie continuent de tirer la croissance, tandis que l’industrie manufacturière, la construction, le fret ou le transport de poids lourds sont en récession technique.
Enfin, une dichotomie géographique : une vingtaine d’États sont déjà en difficulté ou connaissent un net ralentissement. La croissance américaine agrégée donne l’image d’une économie solide, mais elle masque de nombreuses faiblesses internes. En cas de choc négatif, le ralentissement pourrait être très rapide.
La question centrale est la rentabilité. Toute la logique d’investissement dans les data centers repose sur l’idée que les modèles d’IA générative seront rapidement monétisés à grande échelle. Or ce n’est plus aussi évident. La concurrence chinoise sur les modèles moins coûteux remet en cause les projections de revenus. De nombreux data centers ne peuvent pas être raccordés à temps faute de capacité électrique. Le coût de l’électricité augmente et le déséquilibre entre l’offre et la demande pourrait être très important d’ici 2030. En parallèle, le cadre réglementaire pourrait se durcir, notamment après la période Trump, autour de l’impact environnemental.
Les grands acteurs technologiques peuvent gérer ces investissements sur bilan. Mais beaucoup de sociétés plus petites annoncent des plans d’investissements pharaoniques alors qu’elles perdent de l’argent chaque trimestre. Certaines affichent des ratios de dette extrêmement élevés. Les marchés commencent déjà à l’intégrer à travers l’élargissement des spreads de crédit.
Le scénario d’un retournement pourrait venir d’une révision brutale des anticipations de revenus liées à l’IA, suivie d’une pause dans les chantiers de data centers, puis d’une revalorisation des actions à la baisse, avec un effet de richesse négatif sur les ménages les plus aisés qui soutiennent une partie de la consommation.
L’Europe s’est placée dans une position de faiblesse vis-à-vis des États-Unis. Cela a permis de calmer les tensions à court terme mais pose un problème de compétitivité à long terme. Dans le même temps, la Chine redirige vers l’Europe une partie de ses exportations, notamment de véhicules électriques. Les droits de douane européens d’environ 30 % n’ont freiné les importations que deux mois : lorsque le différentiel de prix est massif, cela ne suffit pas.
Deux chemins se dessinent : soit des droits beaucoup plus élevés, politiquement difficiles à assumer, soit une intégration progressive des constructeurs chinois dans l’industrie européenne, via des usines et des joint-ventures. Cela commence déjà en Allemagne et en Europe centrale. L’Europe reste par ailleurs limitée par sa dépendance structurelle aux terres rares chinoises, ce qui réduit sa capacité à prendre des mesures plus offensives.
Ce n’est pas mon scénario central, mais ce n’est pas un scénario à exclure. Une résolution du conflit russo-ukrainien réduirait immédiatement les prix agricoles, générant une pression désinflationniste forte. En revanche, sur l’énergie, le processus serait plus lent car la relation avec la Russie restera durablement dégradée.
Par ailleurs, l’exécution des plans de dépenses européens pourrait être plus lente qu’anticipé. Même les dépenses de défense, pourtant prioritaires, mettent du temps à se traduire concrètement, d’autant qu’une part importante consiste en importations, ce qui réduit leur impact macroéconomique. Enfin, les risques politiques — en France, aux Pays-Bas ou en Autriche — renforcent un climat de croissance molle et de pressions désinflationnistes persistantes.
L’Europe navigue à vue. Elle dispose de réels atouts, notamment dans l’hospitalité et le tourisme, mais cela ne suffit pas à constituer un modèle de croissance durable. La comparaison avec la Chine est éloquente : Pékin prend des décisions avec vingt ou trente ans d’horizon, tandis que les pays européens sont enfermés dans des cycles électoraux beaucoup plus courts. Cette différence de temporalité explique en partie le recul relatif de l’Europe en matière de puissance économique, d’attractivité et d’influence géopolitique au cours des vingt dernières années.
Contrairement au discours actuel de plusieurs membres du Conseil des gouverneurs, je pense que les risques sont orientés vers une nouvelle baisse des taux directeurs. La dynamique de croissance en zone euro, les risques de déflation importée et la possibilité que l’inflation repasse sous la cible à moyen terme pourraient amener la BCE à réduire de nouveau ses taux d’ici juin 2026. C’est loin d’être le consensus, mais une surprise plus accommodante est tout à fait possible si la conjoncture se dégrade plus vite que prévu ou si les plans de dépenses publics produisent un impact inférieur aux attentes.