Jean-Pierre Petit, président des Cahiers Verts de l’Économie, était l’invité du petit-déjeuner conférence organisé le 12 septembre 2025 au Méridien Beach Plaza de Monaco par le MEB et la société Jutheau Husson. Devant un auditoire composé de financiers, d’investisseurs et de dirigeants, il a livré son analyse de la situation géopolitique et économique mondiale, marquée par le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche.
Jean-Pierre Petit : Le message de Trump est double : souveraineté intérieure et puissance extérieure. La souveraineté intérieure, c’est sa volonté d’affronter les contre-pouvoirs traditionnels, les juges, l’administration, qu’il considère comme un obstacle à son projet politique. Cela passe aussi par un contrôle renforcé des frontières et une remise en cause d’un certain progressisme appelé « wokisme », qu’il combat ouvertement. La puissance extérieure, c’est l’affirmation de l’intérêt national américain avant tout. Contrairement à ses prédécesseurs, Trump ne cherche pas à incarner un modèle universel ou un leadership moral. Il assume un rapport de force direct où les États-Unis défendent leurs priorités économiques et stratégiques, sans se soucier de plaire ou d’inspirer.
Nous sommes entrés dans une nouvelle phase. Les droits de douane américains sur les importations étrangères atteignent désormais 18% au 1er août, alors qu’ils étaient autour de 2,5 % lorsque Trump est arrivé aux affaires le 20 janvier dernier. Mais il faut insister : rien n’est signé. Ces mesures sont prises par décrets présidentiels, elles doivent encore être confirmées par la Cour Suprême. Autrement dit, tout reste précaire et sujet à revirement.
C’est un mélange de protectionnisme et de politique industrielle. Les tarifs douaniers constituent un outil de négociation, mais le cœur du projet est de réindustrialiser les États-Unis. Trump veut attirer les capitaux, inciter les entreprises à relocaliser. Pour cela, il dispose d’atouts réels : une énergie nettement moins chère qu’en Europe, des incitations fiscales puissantes, des infrastructures qui se modernisent. Il n’hésite pas à s’attaquer aux universités qu’il juge militantes, qu’il considère comme des foyers d’idéologies opposées à sa vision. C’est une reconquête industrielle et culturelle en même temps. Ce qui est certain, c’est que les États-Unis mettent en place une politique cohérente de puissance économique.
Je n’ai jamais vu l’Europe aussi soumise. Sur l’OTAN, sur les droits de douane, sur l’Ukraine, elle a accepté des compromis défavorables. On a vu des scènes très humiliantes pour l’Europe, comme lors des rencontres d’Anchorage ou de Washington. Et les Européens ont consenti à des engagements massifs : plus de 600 milliards de dollars investis aux États-Unis, des achats d’énergie américaine à grande échelle, une hausse de leurs dépenses militaires. Tout cela révèle une asymétrie frappante. L’Europe apparaît naïve, lente, sans stratégie. Elle subit les décisions de Washington et se contente de réagir comme elle peut, au lieu d’anticiper et de proposer une vision propre.
Sur l’Ukraine, il y a eu des erreurs de séquencement. Les objectifs militaires et politiques n’étaient pas clairs dès le départ. Les Européens ont suivi sans définir leur propre stratégie, ce qui les a mis en position de faiblesse. Quant à l’Iran, la situation est extrêmement floue. Nous ne connaissons pas encore l’ampleur réelle des dommages sur les installations nucléaires iraniennes, ni la manière dont le pouvoir fonctionne aujourd’hui à Téhéran. On est dans une zone d’incertitude où l’opacité règne, ce qui est toujours dangereux pour les marchés et pour la stabilité régionale.
Aux États-Unis, la situation est assez claire : la Fed va baisser ses taux. Les chiffres de l’emploi montrent un ralentissement, les salaires ralentissent aussi, et l’inflation tend à refluer, même si elle reste autour de 3 %. Tout cela donne de la marge à la Fed pour assouplir. En revanche, en Europe, c’est l’inverse. La BCE maintient une politique beaucoup trop restrictive, avec des taux réels supérieurs à la croissance réelle. C’est une erreur majeure, car cela pénalise l’investissement dont l’Europe a un besoin vital, notamment pour financer sa défense, la transition énergétique et le numérique. L’écart entre les États-Unis et l’Europe va donc se creuser encore davantage.
Le risque principal vient de l’Europe, et en particulier de la France. Les spreads OAT-Bund sont un indicateur à surveiller de près. Si l’écart se creuse trop, cela peut déclencher une certaine contagion au système bancaire et provoquer une restriction du crédit. L’Europe est fragilisée par son manque de croissance, par ses divisions politiques et par son incapacité à parler d’une seule voix. Cette fragilité se reflète dans ses marchés financiers.
Oui, bien sûr. La première, c’est de préférer la dette américaine à la dette française. Le dollar reste une monnaie refuge, la croissance potentielle des États-Unis est plus élevée, et leur capacité fiscale est intacte. Sur les actions, il y a une thématique très forte : l’intelligence artificielle et les data centers. Elle continue de porter les marchés américains et offre des perspectives de croissance solides. En Europe, il existe des opportunités d’arbitrage, notamment sur les spreads, comme entre l’Italie et la France, qui peuvent offrir des points d’entrée intéressants. Mais globalement, la hiérarchie est claire : les États-Unis offrent plus de visibilité et de sécurité.
JPP : L’Europe devrait renforcer sa capacité d’action dans trois domaines essentiels : la défense, l’énergie et l’industrie. Elle devrait revoir sa gouvernance, réorienter ses investissements et réduire sa dépendance aux Etats-Unis. Mais pour l’instant, nous en sommes très loin. L’Europe manque de réactivité, elle reste engoncée dans des débats internes, alors que le monde avance vite. Si elle ne change pas de cap, elle risque d’être encore plus marginalisée dans le nouvel ordre mondial qui se dessine.