Entretien avec Michael Fiorentini, Co-fondateur et Managing Partner d’Amberlake Partners Monaco
Ancien banquier au Luxembourg et à Monaco, Michael Fiorentini a cofondé Amberlake Partners en 2021 avec l’ambition d’apporter une approche plus agile et internationale de la gestion de fortune. Premier acteur de la Principauté à avoir obtenu une licence de la SEC américaine (Securities and Exchange Commission), la société de gestion monégasque se distingue par sa capacité à accueillir une clientèle américaine et par une stratégie résolument orientée vers la structuration de produits sur mesure et l’innovation technologique.
Je suis originaire de la région et j’ai passé une dizaine d’années au Luxembourg, où j’ai travaillé pour de grandes banques, notamment BNP Paribas et Crédit Suisse. En 2016, j’ai eu l’opportunité de revenir à Monaco. C’était un retour que je souhaitais depuis longtemps : sur la place, les opportunités sont rares, et je me suis dit que si je n’y allais pas à ce moment-là, je n’y arriverais peut-être jamais.
À la suite de la période du Covid, en 2021, j’ai décidé avec mon associé, Jagdeep Kapoor, un financier britannique – de créer notre propre société de gestion : Amberlake Partners. Nous avons d’abord constitué un noyau de clients issus de notre cercle professionnel, puis progressivement recruté d’anciens banquiers et gérants désireux de quitter des structures bancaires pour retrouver plus de liberté et d’agilité dans une architecture ouverte.
Je viens du monde des produits structurés, domaine dans lequel j’ai commencé ma carrière au Luxembourg. Cet ADN produit reste au cœur de notre gestion : il permet d’adopter une approche « buy and hold » dans laquelle le client bénéficie d’une protection définie – par exemple à -40 % – et n’a pas à subir quotidiennement la volatilité des marchés.
Cette approche apporte également une bonne valeur de gage pour le crédit et permet d’intégrer des effets de levier maîtrisés. Bien sûr, nous proposons aussi des gestions classiques en actions et obligations, mais notre identité repose sur la structuration, la flexibilité et la recherche du meilleur couple rendement/risque.
Nous travaillons avec plus d’une dizaine de banques dépositaires et autant d’émetteurs de produits. Cela signifie qu’un client détenant ses avoirs dans une banque X peut parfaitement souscrire un produit émis par une banque Y. Cette liberté totale de combinaison est un atout majeur : nous pouvons sélectionner à chaque fois la meilleure solution.
Dans la banque traditionnelle, les conseillers sont souvent incités à promouvoir les produits « maison ». Nous sommes exclusivement du côté du client. Notre rôle est de l’aider à faire le tri et à accéder à ce qui se fait de mieux sur le marché.
C’est l’un de nos marqueurs, oui. D’autres le font aussi, mais je pense que notre équipe dirigeante est sans doute une des plus jeunes de Monaco dans ce domaine. Cela nous donne une capacité d’adaptation et d’innovation plus forte. Nous avons monté notre structure assez tôt dans nos parcours, ce qui nous permet d’être à la fois dynamiques et audacieux dans nos développements – à commencer par l’obtention de notre enregistrement auprès de la SEC en tant qu’Investment Adviser.
Quand une banque dit non à un Américain en Europe, nous trouvons la voie réglementaire et opérationnelle pour dire oui.
Effectivement, nous sommes les premiers à avoir obtenu cette licence à Monaco. Ce processus a pris environ un an et demi. Aux États-Unis, depuis la crise de 2008, la réglementation impose une stricte séparation entre le conseil et la banque dépositaire : une même entité ne peut pas être à la fois conseiller et dépositaire des actifs du client. Or, en Europe, ce modèle intégré reste courant. Cela rendait jusqu’à présent impossible pour un résident américain d’obtenir du conseil auprès d’une banque monégasque
Pour contourner cette barrière réglementaire, nous avons travaillé étroitement avec l’APDB (Autorité de protection des données personelles) et les autorités monégasques. Il a fallu mettre en place des systèmes de waivers* signés par les clients américains, des lettres de confort officielles du gouvernement monégasque vers la SEC, et rassurer les autorités américaines sur la gestion et la confidentialité des données.
Ce travail de fond, inédit, a été coûteux et long, mais nous avons bénéficié d’un soutien exemplaire du gouvernement monégasque. Les services administratifs et l’APDB ont parfaitement joué leur rôle : ils ont facilité les échanges avec les autorités américaines, et démontré une réelle ouverture et agilité. Cette réussite collective illustre la capacité de la Principauté à accompagner les acteurs financiers dans leurs démarches internationales.
Elles sont très significatives. Aujourd’hui, environ 25 % de nos clients sont américains. Plusieurs banques européennes nous adressent directement leurs clients américains, faute de pouvoir les conserver, et nous devenons alors leur relais conseil.
Grâce à ce statut, un client américain peut transférer son portefeuille en nature vers Monaco, sans avoir à vendre ses actifs aux États-Unis.. Une fois transférés, il peut obtenir un crédit bancaire pour financer, par exemple, un bien immobilier à Monaco. C’est un système gagnant-gagnant pour tous : le client, la banque dépositaire, les agents immobiliers, et la Place monégasque dans son ensemble.
L’instabilité politique et fiscale aux États-Unis, combinée à la hausse du coût du crédit, incitent de plus en plus d’Américains à chercher en Europe, et particulièrement à Monaco, un cadre plus stable pour protéger et diversifier leur patrimoine.
Tout à fait. Notre équipe elle-même est internationale : je suis franco-suédois, mon associé est britannique, et nous comptons des collaborateurs russophones, arabophones, ou scandinaves . Cette diversité culturelle et linguistique est une vraie force. Notre objectif n’est pas de « faire tourner les mêmes dossiers » entre acteurs monégasques, mais bien d’attirer des de nouveaux capitaux à Monaco.
Nous structurons nos produits en direct, sans passer par des courtiers. C’est l’un de nos avantages compétitifs. Nous disposons de lignes de communication directes avec les trading desks des émetteurs, ce qui nous permet d’innover en permanence et de proposer rapidement de nouvelles structures aux clients.
Les produits structurés représentent donc le cœur de notre expertise, mais nous offrons aussi des solutions titrisées en dette privée et private equity.
Nous sommes capables de proposer des solutions labellisées ESG ou ISR lorsque les émetteurs les offrent, mais honnêtement, la demande reste marginale. Nos clients ne se déterminent pas principalement sur ces critères : ils recherchent avant tout la performance et la sécurité.
Nous avons une organisation conforme aux standards internationaux : un Compliance Officer interne, un KYC Officer dédié à l’onboarding des clients, et des audits réguliers et contrôles indépendants. Le dispositif est solide, mais il faut surtout saluer le cadre monégasque, qui est aujourd’hui d’une grande qualité.
Le gouvernement de Monaco s’est montré particulièrement réactif et professionnel lors de nos démarches avec la SEC. Ce soutien a été déterminant. Cela témoigne de la maturité réglementaire de la place et de sa capacité à traiter d’égal à égal avec les grandes juridictions internationales.
Comment envisagez-vous la croissance d’Amberlake Partners ?
Nous sommes ambitieux : je ne crois pas beaucoup aux business plans figés, car c’est l’action qui crée l’information. La réalité est souvent différente Notre stratégie repose avant tout sur le recrutement sélectif : nous intégrons des banquiers expérimentés, désireux d’offrir un service plus personnalisé à leurs clients.
Nous prévoyons d’accueillir deux nouveaux banquiers d’ici la fin de l’année. Nous développons également notre action vis-à-vis des États-Unis, car notre solution pour la clientèle américaine a une vraie valeur : elle permet d’activer de nouveaux flux d’actifs, de soutenir le crédit, et de dynamiser la place.
Oui, beaucoup. Nous développons nos outils en interne, notamment pour le suivi des produits structurés avec Ambervision: valorisation, observation, remboursement, courbes, graphiques. Ces développements permettent un suivi automatique et visuel pour le client. L’arrivée de l’intelligence artificielle démultiplie nos possibilités : nous avons par exemple une IA capable d’analyser un produit et de générer un commentaire personnalisé pour le client, directement visible sur sa plateforme. C’est une aide précieuse à la transparence et à la réactivité.
C’est un sujet essentiel. Quand un Américain dit : « Je vais en Europe », il pense à la Suisse. Le Luxembourg, c’est pour lui l’industrie financière institutionelle. Monaco reste encore trop peu identifié comme une Place bancaire à part entière. Pourtant, les banques monégasques sont tout aussi compétentes et solides.
Amberlake se tient naturellement à disposition pour accompagner toute initiative visant à mieux faire connaître la Place monégasque et ses atouts auprès des investisseurs américains. Le potentiel est considérable : même si un pourcentage infime des clients américains fortunés s’intéressait à Monaco, l’impact serait déjà significatif pour l’économie locale.
Amberlake Partners est né de la conviction qu’une autre approche de la gestion privée est possible : plus agile, plus internationale, et résolument tournée vers le client. Et si nous avons pu le faire, c’est aussi grâce à la réactivité et au soutien concret du gouvernement de Monaco. La Principauté a su prouver qu’elle pouvait être un acteur crédible et innovant de la finance mondiale.
* renonciation temporaire ou définitive à certains droits ou obligations contractuels convenus entre deux parties. Dans le monde de la finance, un waiver est souvent accordé par les investisseurs à un porteur de projet qui n’est pas en mesure de