Jean-Pierre PETIT : « Il ne faut pas nécessairement être pessimistes. »

2020 05 13Thierry Crovetto

Président des Cahiers Verts de l'Économie depuis 2009, Jean-Pierre PETIT a été élu plusieurs fois meilleur économiste de marché lors des Grands Prix de l’analyse financière Extel France. Auteur de plusieurs ouvrages primés, dont « La finance, autrement » Prix Spécial Turgot et « La Bourse, rupture et renouveau » Grand Prix Turgot du meilleur livre d'économie financière, il nous livre ses impressions sur l’avant et après COVID.

Les marchés mondiaux se reprennent et pourtant les médias insistent sur les risques économiques consécutifs à une « deuxième vague » de la COVID-19 …qui a raison ?

Plutôt les marchés ! Ils ont réagi brutalement à la baisse entre le 19 février et le 23 mars dernier, mais, aujourd’hui, ils ont tendance à monter, considérant que la pandémie est derrière nous du point de vue des incidences économiques.
Il y a quelques mois, les « Cahiers verts de l’économie », envisageaient une reprise mondiale principalement au 3ème trimestre 2020, ensuite freinée par les restrictions sanitaires, puis une normalisation progressive de l’activité.

Pourquoi ?

Le taux de reproduction du virus est bien plus faible qu’en janvier/mars dernier : proche de 1 au niveau mondial. Cela signifie que quelques mesures partielles et localisées permettent aujourd’hui d’endiguer la pandémie. La capacité de testing a énormément progressé (niveau mondial de 75% by Oxford Economics), le système de santé dans le monde occidental est mieux préparé et moins saturé. Les normes sanitaires, quasiment inexistantes en début d’année, se sont généralisées. La population mondiale est plus sensible aux gestes barrières, l’immunité est plus large au fur à mesure de la contamination dans le monde et la chute du transport aérien international entraine une bien moindre diffusion du virus qu’en février dernier. Enfin, selon les dernières enquêtes menées auprès des scientifiques, la probabilité d’avoir un vaccin bien diffusé d’ici fin mars 2021 est de 49%. Toutes ces raisons justifient la reprise des marchés.

Néanmoins, la pandémie a eu des incidences majeures sur la macro-économie ?

Effectivement. Nous avons connu une baisse annualisée de 15% du PIB mondial au 1er semestre : 3 fois celle enregistrée après la faillite de Lehman Brothers ! Les USA devraient se redresser et finir en moyenne l’année à -4,5%, l’Europe à - 6,5%, la croissance en Chine ne serait que de 2,5%. C’est la 4ème pire récession du PIB mondial par tête depuis 150 ans.

Par ailleurs, le taux d’épargne a explosé et la confiance des ménages reste basse.
Néanmoins, les indices de mobilité, qui s’étaient effondrés à partir de février, sont remontés dès avril et un plateau depuis août, ne remettant pas en cause leur amélioration sensible. Les services à forte proximité humaine ont été dévastés, l’évènementiel, le tourisme, l’hôtellerie, la culture, le transport aérien et l’aéronautique, mais depuis mai certains indicateurs s’améliorent, concernant les dîners au restaurant.

La situation s’est plutôt dégradée dans le monde émergent …

La Scandinavie, La Suisse, La Nouvelle Zélande, Taiwan et la Corée du Sud sont les pays qui, jusqu’à présent, ont le mieux traversé la pandémie.

Si l’on analyse les BRIC, actuellement la Chine est stabilisée, la Russie et l’Europe de l’Est sont relativement peu touchés, le Brésil, en grosses difficultés, améliore sa situation depuis juillet. L’Inde en revanche enregistre une récession profonde et inédite depuis 1947, avec une croissance toujours exponentielle des cas de COVID-19.
Les Etats du Sud des USA (Californie, Floride et Texas) observent un beau redressement.
En Europe, la situation se dégrade en Espagne et en France si l’on comptabilise les contaminations brutes. Mais si l’on ajuste infection et testing, nous sommes loin de la situation du mois d’avril dernier. D’une manière générale, le ratio décès/infections dans le monde a chuté depuis la mi-avril.

Les États ont-ils bien réagi ?

La proactivité des États et des Banques centrales est une bonne nouvelle. L’Europe a abandonné des règles budgétaires absurdes, comme les critères de limitation des déficits publics à 3% du PIB et l’accord sur plan de relance européen est historique. Le flux de crédits aux entreprises a été maintenu. Et nous n’avons pas subi, au plan mondial, de fortes vagues protectionnistes, ni la chute prédite par certains des démocraties.

Au niveau monétaire, la baisse du dollar est favorable aux pays émergents. Les politiques monétaires sont accommodantes, et vont le rester, avec des taux d’intérêts bas pour très longtemps.

Il ne faut pas nécessairement être pessimiste.

Malgré les dettes publiques ?

La dette publique n’est pas un sujet court terme pour les pays qui empruntent dans leur monnaie, car, dans ce cas, c’est la banque centrale qui rachète la dette. Je suis plus inquiet pour la dette des entreprises, mais une grosse mobilisation se fait pour assurer leur refinancement, et donc leur survie. De plus, la récession que nous connaissons est très courte et la profitabilité repart en hausse aux USA et en Chine.
Cet interventionnisme massif va limiter la casse.

Et le monde d’après ?

Le tourisme de masse, les transports aériens et l’aéronautique seront en difficulté pendant une longue période.
Nous connaitrons sans doute un renforcement de la régionalisation des chaines de valeurs. La Chine va se concentrer sur son marché intérieur. Idem pour la zone euro. L’accélération du télétravail est prévisible. Avec la pandémie, nous redécouvrons les coûts de la désindustrialisation, cause entre autres de la désertification de certains territoires, sans parler ici de la dépendance sanitaire à l’égard de la Chine…La pression des revenus, pour les menages, leur fera choisir des produits low cost, donc, je ne crois pas à une relocalisation massive et imminente. En revanche, relocaliser les activités haut de gamme comme la pharmacie, le matériel médical, aurait du sens…