Marie-Pascale BOISSON : « Dans certains Grands Groupes financiers, la lutte anti-blanchiment devient une culture d’entreprise »

2015-07 ITW-Boisson

En juillet dernier, les experts européens anti-blanchiment de MONEYVAL rendaient public leur rapport sur Monaco, avec un bilan globalement positif. Rencontre avec Marie-Pascale Boisson, Directeur du Service d’Information et de Contrôle sur les Circuits Financiers.

Quelles sont les missions du SICCFIN (le Service d'Information et de Contrôle sur les Circuits Financiers) ?

C’est une cellule de renseignements financiers (CRF) au sens du GAFI, qui cumule une mission supplémentaire de supervision qui ne se retrouve pas nécessairement chez nos homologues étrangers, et qu’il est possible de gérer dans un même service administratif compte tenu de la petite taille du territoire national.

Au plan fonctionnel, notre activité se scinde en trois missions distinctes mais complémentaires les unes des autres.

La première correspond au cœur de métier d’une CRF : En tant qu'autorité centrale nationale spécialisée dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC /FT), le SICCFIN est chargé de recevoir et de traiter les déclarations de soupçons qui lui sont adressées par les professionnels soumis au dispositif légal, ainsi que les renseignements qui lui sont transmis par d’autres autorités de contrôle nationales ou d’autres CRF étrangères.

Les déclarations nous permettent de collecter des renseignements sur d’éventuelles suspicions de blanchiment d’argent. Depuis les évènements du 11 septembre 2001, les CRF ont aussi en charge de traiter des informations relatives au financement du terrorisme.

Une des spécificités et des difficultés de la LBC/FT à Monaco provient du fait que les flux financiers suspects à l’origine du blanchiment sont, le plus souvent, issus d’infractions sous-jacentes (trafic de stupéfiants, détournement de fonds, fraudes commerciales, escroqueries et abus de confiance, délits d’initiés, etc…) commises à l’étranger. Ce sont ces infractions qui ont produit les fonds litigieux ensuite blanchis et souvent réinjectés dans les circuits économiques « propres ».

Cette difficulté d’extranéité est propre à beaucoup de centres financiers qui disposent d’une importante clientèle internationale. L’enquête nécessite alors d’interroger nos homologues étrangers pour connaître ces infractions primaires nécessaires à la qualification du blanchiment. Ceci complexifie et allonge d’autant le délai de traitement des dossiers.

Si l’enquête et l’analyse des éléments collectés font apparaître des soupçons avérés, le SICCFIN transmet ensuite un dossier au Procureur Général. La déclaration de soupçon du professionnel n’est, en revanche, elle-même, jamais transmise car elle est frappée, de par la loi, de la plus extrême confidentialité dans un souci évident de protection du déclarant.

Les autorités judiciaires, peuvent ensuite décider de poursuivre ou pas ; Les magistrats monégasques sont d’ailleurs très sensibilisés à la lutte anti-blanchiment.

Notre seconde mission est de superviser les professionnels assujettis (secteur financier et non financier) pour vérifier qu’ils mettent effectivement en œuvre les obligations légales que leur imposent les textes. Le professionnel contrôlé est prévenu de la venue d’une mission  du SICCFIN quelques jours avant. La durée du contrôle sur place varie ensuite, selon l’activité et la taille de l’établissement, entre moins d’une journée pour une agence immobilière à plusieurs semaines pour une banque.

Une fois sur place, les agents du SICCFIN travaillent à partir d’extraction de fichiers, par échantillonnage et par sondage de dossiers clients et d’opérations. Globalement, le contrôle des procédures internes et de leur effectivité s’effectue autour des deux principaux piliers de la lutte anti-blanchiment : le KYC (Know Your Customer) et le KYT (Know Your Transaction). Schématiquement cela signifie que les obligations des professionnels reposent sur une bonne connaissance du client, de l'origine des fonds utilisés et sur la vérification de la cohérence des opérations bancaires et financières du client avec son activité, sa situation financière et son environnement économique et patrimonial. Les établissements adaptent ensuite leurs vigilances en fonction du profil établi.

Les établissements visités ne sont-ils pas inquiets de ces contrôles ?

Sans doute cela n’est-il pas très plaisant d’avoir une visite des agents du SICCFIN : le ressenti est certainement le même pour les contrôles d’autres autorités administratives ou d’autres audits externes. Mais même si ces visites peuvent être craintes, elles sont souvent vécues comme une nécessité utile et constituent un baromètre recherché, car elles permettent à l’établissement de mesurer son degré de conformité. Parfois, dans le secteur financier principalement, elles sont même réclamées.

Pour les banques, par exemple, cela s’explique aisément par le fait que les établissements de crédit monégasques font majoritairement partie de grands Groupes bancaires internationaux qui demandent à consulter le rapport du SICCFIN, d’autant que, du fait de la standardisation et de l’harmonisation internationale, les normes de conformité requises par ces Groupes sont le plus souvent proches, voire identiques, à celles des textes monégasques.

Aujourd’hui, les procédures internes que les professionnels mettent en place font donc partie intégrante de la culture d’entreprise et les conduisent à se doter des ressources humaines et des moyens techniques et logistiques adéquats.

Nos interlocuteurs au sein des établissements financiers sont, le plus souvent, les Compliance Officers, certains directeurs et dirigeants peuvent également être désignés comme correspondants SICCFIN.

Pour les institutions financières et les CSP, la fréquence du contrôle est triennale. Pour les autres secteurs d’activité, comme les agents immobiliers, ou les bijoutiers par exemple, une fois la première vague des contrôles terminée, la fréquence sera plutôt quinquennale, sauf problèmes particuliers.

Le SICCFIN a également une action d’accompagnement, plus spécifiquement auprès des professions non financières, moins familiarisées avec la LBC/FT que les institutions financières. Nous avons, par exemple, organisé récemment une réunion avec la quasi-totalité des agents immobiliers de la Principauté. Pour être respectées, les obligations légales doivent d’abord être bien comprises. Des consultants et autres cabinets de conseil proposent d’ailleurs des formations.

Que risquent les « contrôlés » ?

En cas de défaillances ou de manquements significatifs, la loi prévoit un panel de sanctions administratives qui vont du simple avertissement (seule sanction à pouvoir être directement prononcée par le SICCFIN), au blâme, à la sanction pécuniaire, voire l’interdiction d’effectuer certaines opérations, ou encore la suspension temporaire et même le retrait d’autorisation d’activité. Ces sanctions sont alors prononcées par le Ministre d’Etat après réexamen du dossier. A l’exception de l’avertissement, les sanctions peuvent également faire l’objet d’une publication officielle au Journal de Monaco.

Plusieurs sanctions ont déjà été prononcées (blâmes et sanctions pécuniaires). Mais la répression  n’est pas l’objectif premier du SICCFIN . Une mission de contrôle a, dans la grande majorité des cas, un rôle d’accompagnement du professionnel, préventif avant d’être répressif. Il s’agit de relever les points forts et d’identifier les points faibles, dans l’objectif d’adresser ensuite des recommandations pour que des améliorations puissent être apportées avant le prochain contrôle. Il appartiendra à la mission suivante de vérifier si les corrections requises ont bien été mises en œuvre entre-temps par le professionnel.

Quelle est votre troisième mission ?

C’est une action à l’international : le SICCFIN représente la Principauté auprès d’organismes internationaux spécialisés dans la lutte contre la LBC/FT (MONEYVAL, GROUPE EGMONT) ou la corruption (GRECO).

Je rappelle que MONEYVAL est un organe du Conseil de l’Europe, composé d’experts délégués par chaque pays, qui évalue la conformité de ses membres avec les normes internationales et européennes destinées à lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, ainsi que l’efficacité de leur mise en œuvre.

Cette évaluation s’opère, de manière originale, selon un principe d’évaluation mutuelle par les pairs. Le SICCFIN est ainsi appelé à évaluer d’autres pays. A l’issue de chaque évaluation, MONEYVAL adresse aux autorités nationales gouvernementales des recommandations concernant les améliorations qu’il convient d’apporter à leur système.
L’un des enjeux majeurs des prochains cycles d’évaluation de MONEYVAL, conforté par l’entrée en vigueur en mai dernier de la 4ème directive européenne anti-blanchiment, est que chaque pays doit procéder à son approche nationale par les risques (ANR). Il s’agit d’identifier au niveau national les principaux risques de LBC/FT auquel le pays est confronté, afin de mettre en adéquation ses ressources financières, humaines, logistiques, avec les risques nationaux qui auront été identifiés comme prioritaires. C’est une action gouvernementale où les professionnels seront très impliqués. La Banque Mondiale accompagne Monaco dans cette démarche qui devrait débuter à l’automne prochain. Monaco devra avoir terminée son ANR pour son évaluation de 5ème cycle en 2019.
Par ailleurs, le SICCFIN participe régulièrement aux réunions du Groupe EGMONT. C’est un organe non gouvernemental à vocation opérationnelle, qui vise, notamment, à favoriser et renforcer la coopération entre ses membres. Il regroupe les CRF de 151 pays dans tous les continents. En faire partie permet l’échange d’expérience sur des thèmes comme : la sécurisation des données, les dangers des monnaies virtuelles comme les bitcoins, les relations des CRF avec les autorités judiciaires, les moyens de détection du financement du terrorisme, etc..…

Dans le cadre de ce Groupe, le SICCFIN a signé des accords bilatéraux de coopération administrative avec plus de 40 homologues étrangers.

La coopération internationale est un élément clef de l’efficacité des CRF. Elle est devenue incontournable face à la diversification et l’internationalisation des réseaux de blanchiment, et indispensable face à la complexification sans cesse croissante, et toujours réinventée, des méthodes des blanchisseurs. La lutte contre le blanchiment est un challenge, il ne faut pas baisser les bras.

Notre tâche est complexe et nécessite des moyens tant humains que financiers pour faire face à cette criminalité économique de plus en plus inventive et sophistiquée. La lutte anti-blanchiment devient un métier à part entière. Nous sommes 14 dans notre équipe, avec essentiellement des profils juridiques, économiques  et bancaires. Certains ont une expérience dans la conformité, ou l’audit financier. Nous faisons également appel ponctuellement à des experts extérieurs, anciens Inspecteurs de la Banque de France.

Quels sont vos rapports avec l’AMAF ?

Nous avons une bonne concertation avec les professionnels de la Place. Et en particulier, nous entretenons des rapports étroits avec l’AMAF, à la demande de laquelle nous organisons, plusieurs fois par an, des réunions informelles. Grâce à la taille de notre pays, il est relativement aisé d’avoir un dialogue permanent entre les professionnels et l’administration. Cette proximité crée une vraie efficacité.