Favoriser l'innovation pour relever les défis contemporains

2018 12 24 innovation

Monaco est une terre d’innovation. C’est d’ailleurs l'essence même du développement et de la stabilité économique de la Principauté. Depuis plus de 150 ans, Monaco a eu l’audace de prendre une succession de décisions innovantes, démontrant un incroyable esprit d'entreprise et une perpétuelle capacité à réinventer son modèle économique. Le Monaco que nous connaissons nait en 1861 après la perte de 90 % de son territoire. Face à cette situation critique pour la Principauté, Charles III prit la décision de faire confiance à François Blanc pour créer le Casino de Monte-Carlo (1863) et ainsi dessiner un modèle économique unique au monde assurant un développement harmonieux à l’Etat et aux populations. Depuis, chaque Prince a fait  évoluer Monaco, pour mettre son économie en phase avec les grands mouvements internationaux et ainsi rayonner et prospérer : recherche scientifique (Albert Ier), tourisme & sport (Louis II), immobilier & industrie bancaire (Rainier III). Ne faillissant pas à cette tradition, S.A.S le Prince Albert II a dessiné Sa vision de Monaco lors de Son discours d’investiture. Ce Monaco d’avenir combine l’attractivité pour des talents et des investisseurs, la formation de sa jeunesse à l’étranger et une culture du risque. Cette vision est particulièrement pertinente car depuis 20 ans et l’avènement de l’internet, les schémas traditionnels sont bouleversés.

La difficulté que présente ce nouveau monde réside dans le fait que l’innovation ne peut plus venir seulement d’une impulsion étatique. La complexité technologique et la concurrence internationale rendent aujourd’hui nécessaire l’émergence d’écosystèmes d’innovation autonomes et adaptés aux spécificités locales. Des écosystèmes organisés autour d’entrepreneurs et permettant la mise en place d’une relation collaborative et vertueuse entre quatre types d’acteurs : les pouvoirs publics, les entrepreneurs, les grandes entreprises et les investisseurs. Des écosystèmes dont l’état d’esprit, les succès et les échecs permettent la diffusion d’une culture de l’innovation sur un territoire. De plus, depuis 10 ans et la crise qui frappa si durement  l'économie mondiale, une transformation profonde s'est amorcée à  avec de nouvelles réglementations financières et une révolution technologique ultra rapide dont l'impact sur notre vie quotidienne est encore aujourd'hui loin d'être appréhendé. Dans ce cadre, il revient à la puissance publique de garantir les conditions suffisantes pour permettre non seulement l'émergence mais aussi la croissance d'un écosystème d'innovation servant ses spécificités et soutenant son développement économique pour le siècle à venir. S’il n’était pas déjà préempté, le concept de « leading from behind » s’appliquerait parfaitement au rôle de l’Etat moderne dans l’innovation : apporter un cadre favorable et induire plutôt que conduire l’innovation.

Cette situation inédite constitue pour la Principauté une formidable opportunité de capitaliser un potentiel encore inexploité. En effet, Monaco est d’ores et déjà une vitrine pour les secteurs technologiques de niches et possède un excellent réseau d’entrepreneurs à succès capables d’investir leur temps et leurs ressources auprès d’ambitieux projets. Monaco est aussi une place d’affaires internationales mixant près de 140 nationalités et soutenue par des organes publics et parapublics performants. En retour, Monaco bénéficiera avant tout de création d’emplois qualifiés qui seront autant d’opportunités de carrière attrayantes pour sa jeunesse éduquée mais également d’un gain d’image et d’attractivité plus spécifiquement pour les entrepreneurs et investisseurs, de création de valeur ajoutée et donc de revenus pour l’Etat. A cet égard, l’exemple de New York est particulièrement éclairant. En effet, cette métropole a depuis 10 ans mis en place une politique volontariste qui a permis de créer 7 500 startups qui ont généré 125 milliards de dollars et 58 000 emplois.

Si telle est la volonté des pouvoirs publics, Monaco a l’agilité nécessaire pour mettre en place un écosystème performant quasiment instantanément. D’ailleurs, la création de MonacoTech et la nomination d'un délégué interministériel au numérique démontrent que cette évolution est amorcée. Cependant, ces signaux pourraient s’accompagner d’autres mesures pour favoriser l’innovation et faire de la Principauté une place majeure du capital risque.

C’est pour toutes ces raisons qu’il est désormais urgent de créer à Monaco un écosystème adapté aux projets innovants en établissant un cadre juridique et administratif favorable à leur pérennisation. Pour cela il faut non seulement attirer les créateurs mais aussi inciter les investisseurs à les soutenir.

Donner un cadre juridique et administratif favorable à l'entreprise innovante

La création de MonacoTech a permis l’installation à Monaco d’entrepreneurs innovants dont le projet bénéficie d’un dispositif dérogatoire dénommé « Pass Startup Programme » destiné « à faciliter l'accompagnement et l'intégration des entités sélectionnées à l'issue des jurys de sélection tenus par le  ‘Startup Programme’ »1. Ce dispositif permet de conférer une existence administrative aux startups qui en bénéficient au titre de leur hébergement au sein de MonacoTech. Il est néanmoins limité au temps de l’incubation et, une fois celle-ci arrivée à terme, il est légitime de s’interroger sur les conditions qui permettront la pérennisation de ces sociétés innovantes sur le sol monégasque. Les leviers de MonacoTech seraient en effet neutralisés si les startups hébergées se trouvaient contraintes de prendre leur envol hors de nos frontières faute d’y avoir trouvé un terreau adapté à leurs contraintes spécifiques et favorable à leur épanouissement. En résumé, un programme d’incubation n’est efficace que s’il est accompagné d’une offre d’excubation stratégiquement adaptée.

Afin d’enrichir ce terreau, une piste consisterait à créer un régime des sociétés par action simplifiées de droit monégasque tirant les leçons des évolutions du régime de la SAS française (1994). Ce régime pourrait être limité aux seules « entreprises innovantes » qui en bénéficieraient pour une durée n’excédant pas 10 ans. A titre de comparaison, le statut JEI (Jeunes Entreprises Innovantes) de droit français, limité à 7 ans, offre un cadre social et fiscal ajusté aux problématiques de l’entreprise innovante. Cette structure, dont la création serait soumise à l’agrément préalable des services de la Direction de l’Expansion Economique, pourrait être constituée sous la forme unipersonnelle ou pluripersonnelle. Son régime serait principalement celui des sociétés anonymes monégasques mais bénéficierait d’un certain nombre de dérogations qui lui permettraient de satisfaire aux besoins de flexibilité et d’organisation des sociétés innovantes.

On peut d’ores et déjà signaler que dans les locaux situés à proximité immédiate de MonacoTech, le Gouvernement a décidé d’avoir une pépinière, dont le nom sera sans doute Monaco Boost, destinée à favoriser en premier lieu l’entreprenariat pour les jeunes Monégasques, mais aussi de faciliter la sortie « par le haut » et le maintien en Principauté des incubés de MonacoTech.

Au titre de ces dérogations, l’absence de capital social minimum et la variabilité de ce capital pourraient être retenues de même que le caractère facultatif du recours au commissaire aux apports.
Les statuts de cette « SAS innovante » permettraient d’aménager la répartition du pouvoir au sein de la société en déterminant les modalités de prise de décision, leurs formes et leurs conditions.

La « SAS innovante » pourrait, à titre d’exemple, émettre des actions inaliénables, soumettre toute cession d'actions à l'agrément préalable de la société ou encore prévoir qu’un associé soit tenu de céder ses actions à une date préétablie sous peine de suspension de ses droits non pécuniaires.

Les statuts détermineraient les organes de direction et leurs attributions mais également la nature et les classes d’actions émises (actions à droit de vote simple ou multiple - actions à dividende prioritaire).

Les attributions du conseil d’administration de la SAM, ou de son président, seraient exercées par le président de la SAS dont les conditions de révocation pourraient également être aménagées statutairement.

On l’aura compris, le régime de cette « SAS innovante » permettrait de conjuguer au mieux les aspirations des fondateurs et des investisseurs en organisant de manière optimale le pouvoir et le financement au sein d’une structure ouverte et dynamique.

Garantir un régime spécifique pour les investisseurs

Par ailleurs, il n’y a pas d’innovation sans financement de l’innovation. Or, pour que celui-ci soit efficace, il faut qu’il arrive au bon moment sous une forme qui permette un équilibre entre la légitime volonté de l’innovateur/inventeur/créateur de garder un contrôle sur sa création et la protection de l’investissement, voire une certaine maîtrise du risque par l’investisseur.

La liberté qu’offre le régime de la SAS/U permet d’atteindre l’équilibre entre les intérêts concurrents du créateur et de l’investisseur (capital variable, actions à dividendes prioritaires, actions à droit de vote double, BSA, OBSA, ...).

Pour que cet investissement se fasse au bon moment, il faut cependant réduire au maximum les délais de réalisation des opérations, car, pour une startup, la frontière est parfois ténue entre l’envol et le crash. La croissance crée des déséquilibres financiers qui nécessitent un accès rapide aux financements. En phase d’amorçage commercial, les jeunes pousses restent des objets très fragiles et les financements doivent donc pouvoir être mobilisés en quelques semaines.

Un autre enjeu de l’investissement dans l’innovation est celui de la maîtrise du risque. Celle-ci peut se faire grâce à deux leviers : l’implication de l’investisseur et le contrôle du projet d’une part, et d’autre part, le partage du risque.
L’implication de l’investisseur suppose que ce dernier professionnalise sa manière d’investir. Le Business Angel doit donc s’entourer de spécialistes des domaines structurels qu’il ne maîtrise pas (droit, gestion, analyse financière, marketing...) et qui font, par nature, défaut aux jeunes pousses dans lesquelles il investit. En effet, celles-ci orientent plutôt leurs ressources vers la création que vers les « fonctions supports ».

Se pose alors la question de la création de sociétés qui détiendraient, pour leur propre compte, des participations dans des sociétés innovantes monégasques ou étrangères. Elles exerceraient activement les droits attachés à ces participations (e.g. nomination dans les organes de direction). Elles hébergeraient des services juridiques, comptables, marketing et support au profit des filiales et pourraient percevoir, à cet effet, des frais de gestion.

Un autre sujet concerne le partage du risque. Celui-ci peut se faire de manière informelle lorsque plusieurs entités investissent « en meute », mais il présente sa meilleure efficacité lorsqu’il est structuré autour de véhicules financiers tels que les FCPI, SCR, SICAV, ...

Aussi, favoriser la création de tels véhicules financiers en complément d’un cadre juridique et administratif dédié à l’innovation serait non seulement  un moyen de faire de Monaco une place incontournable pour des secteurs d’innovation choisis, mais surtout un choix stratégique visant à constituer un environnement favorable à l’industrie des véhicules et fonds d’investissement dédiés à l’innovation dans la Principauté. Une nouvelle branche industrielle à côté, par exemple, du tourisme, de l’immobilier et de la banque privée.

 
 
1 Arrêté Ministériel n° 2017-727 du 4 octobre 2017 instituant un dispositif « PASS StartUp Programme »