Ambassadrice de Monaco au Royaume-Uni depuis 2009, Evelyne Genta défend avec pragmatisme et finesse les intérêts du Rocher dans la capitale européenne de la finance. Dans cet entretien, elle revient sur l’évolution de son rôle, les changements de perception autour de Monaco, et les nouveaux visages de ses résidents.
Vous êtes ambassadrice de Monaco à Londres depuis plus d’une décennie. Quelle est la nature de votre mission aujourd’hui ?
Je ne suis pas à l’ONU, ni dans une fonction multilatérale. À Londres, la diplomatie est très axée sur l’économie et la finance. Je fais connaître Monaco comme une destination à la fois attractive, sérieuse et crédible. Il s’agit de montrer que La Principauté est un vrai pays, où l’on vit, où l’on travaille, où les enfants vont à l’école. Ce n’est pas une carte postale.
Le profil des résidents a-t-il changé ?
Radicalement. En 2009, j’accueillais souvent des personnes de 65-70 ans, qui venaient pour une retraite confortable, souvent après avoir vendu leur entreprise. Aujourd’hui, ce sont des couples jeunes, parfois avec enfants, qui s’installent. Ils amènent avec eux un fiscaliste, un family office, parfois une start-up. Et c’est ce fiscaliste, très influent, qui oriente leur choix de destination.
Le facteur fiscal reste donc central ?
Oui, bien sûr, c’est un levier, mais ce n’est plus le seul. La sécurité, par exemple, est désormais un argument majeur. À Monaco, il est impensable de se faire agresser dans la rue. Les résidents y trouvent une paix rare, dans un monde qui devient de plus en plus instable. Et contrairement aux idées reçues, Monaco n’est pas une zone de non-droit fiscal : il y a de la TVA, de l’imposition sur les sociétés… Ce n’est pas une niche obscure.
Monaco est-il en concurrence avec d’autres places fiscales comme Dubaï, Milan ou Genève ?
Oui, bien sûr. Mais Monaco a plusieurs atouts : la stabilité politique – 728 ans, ce n’est pas rien –, l’accès facile à l’Europe, une qualité de vie exceptionnelle… Milan attire certes, Dubaï ou Singapour séduisent, mais les familles hésitent à s’exiler si loin, à couper leurs liens familiaux. À Monaco, vous êtes en Europe, à deux heures de Londres.
Votre travail consiste-t-il à aller convaincre les prescripteurs ?
Exactement. Je fais des conférences dans des cabinets fiscalistes, je cultive des relations personnelles de long terme avec eux. Ils sont également très sensibles aux évènements organisés en coopération avec l’AMAF où la Place leur est présentée précisément. Ils apprécient particulièrement les séances questions/réponses qui leur permettent de mieux présenter Monaco aux familles. A l’ambassade, nous faisons par ailleurs un accompagnement très concret : inscrire les enfants à l’école internationale, conseiller un dentiste, un médecin. Les petites choses du quotidien qui peuvent aider nos résidents.
Le Brexit a-t-il eu un impact sur l’intérêt porté à Monaco ?
Beaucoup de personnes fortunées ont vu leurs repères fiscaux et juridiques s’effondrer. Mais, plus important, le statut fiscal britannique des « non-domiciled » – dits non-doms – a longtemps permis à de nombreux étrangers résidant au Royaume-Uni d’optimiser leur imposition sur les revenus d’origine étrangère. Les réformes récentes ont profondément rebattu les cartes. Ce changement a été un vrai déclencheur. Beaucoup de familles fortunées n’ont pas compris ce virage brutal. Ils se sont sentis ciblés, déstabilisés. Résultat : elles ont quitté Londres. Monaco, grâce à sa stabilité juridique et fiscale, a su capter ces départs. Nous étions prêts. Le Rocher reste très attractif pour ces profils, surtout en comparaison de juridictions plus éloignées ou plus volatiles.
Les liens entre Monaco et le Royaume-Uni dépassent-ils la seule sphère économique ?
Absolument. Il y a un pan essentiel de notre action diplomatique qui se joue dans le champ philanthropique et environnemental. Dès mon arrivée, j’ai travaillé avec la Couronne britannique, d’abord avec le prince Charles puis avec le prince William à travers leurs différentes fondations environnementales et caritatives. Ces relations ont permis de bâtir des passerelles solides entre nos deux pays autour de causes d’intérêt général.
Quels types de projets avez-vous développés ?
Nous avons notamment établi des partenariats avec des universités britanniques de renom, comme Cambridge, en lien avec la Fondation du Prince Albert II. Ce sont des actions concrètes, durables, et qui permettent de montrer un autre visage de Monaco : un État engagé, actif sur les enjeux climatiques, éducatifs et scientifiques.
Les familles qui s’installent à Monaco y sont sensibles ?
Tout à fait. Beaucoup de personnes fortunées qui choisissent Monaco ont une fondation ou un projet philanthropique. Ce sont souvent des gens qui veulent donner du sens à leur réussite. Et Londres reste une plateforme exceptionnelle pour créer ces synergies : entre fondations, universités, entreprises responsables. Mon rôle, ici, c’est aussi de les connecter.
Quel est le rôle de la culture dans cette diplomatie ?
Il est très important. Monaco a une offre culturelle de grande qualité – opéras, ballets, expositions –, et je veille à la mettre en valeur ici. Nous avons eu par exemple des partenariats avec le Royal Opera House. C’est une autre manière de montrer que Monaco n’est pas qu’un port ou un casino, mais un pays vivant, cultivé, engagé.
A titre personnel, qu’est-ce qui vous anime encore aujourd’hui ?
L’énergie que je mets dans ce travail vient de la conviction que Monaco a beaucoup à offrir, et que c’est à moi de le montrer de la bonne manière. J’ai vu mon rôle évoluer, j’ai dû m’adapter. Mais je continue à le faire avec plaisir. L’ambassade, ici, vit en permanence. Il y a toujours quelqu’un pour répondre, aider, expliquer.