La rivalité États-Unis – Chine façonne un nouvel ordre économique mondial

2025 07 07 Christophe Barraud

Directeur Général de Market Securities Monaco SAM, courtier indépendant avec une présence mondiale, Christophe Barraud propose une large gamme de solutions d'exécution et de conseil multi-actifs à des clients institutionnels. Il décrypte pour nous les grands mouvements macroéconomiques en cours. Fragmentation géopolitique, impact sur l’inflation mondiale, secteurs technologiques clés et stratégies d’investissement : il livre une vision lucide et précise de la conjoncture actuelle et des perspectives à moyen terme.

La rivalité États-Unis – Chine reconfigure-t-elle durablement les chaînes d’approvisionnement mondiales ? Quelles régions en profiteront le plus selon vous ?

Oui, cela commence déjà à se voir. La Chine sait que les différends commerciaux avec les États-Unis vont durer, ce n’est pas juste une question de court terme. Avec Trump, ce sera même plus violent et plus volatile. Aujourd’hui, la Chine applique la stratégie mise en place en 2018-2019 : passer par des pays « proxy », comme le Vietnam. Cela se voit dans les chiffres récents. Ces pays qui réexportent ensuite vers les États-Unis en bénéficient car ils prennent une commission au passage. Mais Trump pourrait leur mettre la pression pour limiter ce transbordement.

En parallèle, la Chine cherche aussi à gagner des parts de marché ailleurs, notamment en Europe. Au mois de mai, ses exportations vers l’UE et le Royaume-Uni ont accéléré alors qu’elles chutaient vers les États-Unis. Elle applique des discounts très agressifs pour pénétrer ces marchés, ce qui pénalise l’industrie manufacturière européenne. Cela aura aussi un impact déflationniste supplémentaire sur l’Europe, car la Chine exporte déjà de la déflation et elle intensifie cet effet pour gagner des parts de marché. À mon avis, ce sont deux points macro-clés à suivre sur les six prochains mois.

L’Europe est-elle le maillon faible entre la Chine et les États-Unis ?

Un peu, oui. Face aux États-Unis, l’Europe sera obligée de faire des concessions si elle veut éviter 50 % de droits de douane à partir du 9 juillet. Le secteur automobile allemand est déjà directement visé par les droits de droits mis en place en avril, ce qui va pénaliser l’économie allemande au deuxième et troisième trimestre. Cela dit, cela a forcé l’Allemagne à réagir rapidement avec un stimulus et un plan de baisses d’impôts de 46 milliards. C’est une réaction nécessaire mais qui révèle aussi une forme de faiblesse. Vis-à-vis de la Chine, l’Europe devrait peut-être elle aussi imposer des droits de douane pour protéger son industrie. Pour l’instant, ce n’est pas la voie choisie. Mais Trump pourrait faire pression sur l’Europe pour qu’elle en impose à la Chine. C’est possible dans les mois qui viennent.

Peut-on imaginer un « deus ex machina » non intégré dans les anticipations de marché pour le second semestre 2025 ?

Un scénario possible serait justement cette pression accrue de Trump sur l’Europe pour taxer davantage la Chine. De manière générale, Trump va continuer de faire pression sur tous ses partenaires. Il demande déjà au Vietnam de taxer la Chine pour éviter que des biens chinois transitent via ces pays. On a vu le même schéma avec le pétrole russe ou iranien : les biens trouvent toujours un chemin, mais ça coûte plus cher à l’arrivée.

Aujourd’hui, les États-Unis importent de l’inflation via les droits de douane sur la Chine alors que le reste du monde importe de la déflation chinoise, ce qui peut créer une divergence de politiques monétaires. C’est aussi pour cela que les anticipations d’inflation montrent une accélération dans les prochains mois aux États-Unis, tandis qu’elles sont plutôt stables ailleurs. Powell l’a encore rappelé la semaine dernière.

Concernant les droits de douane, l’incertitude va durer. Il est impossible de finaliser des traités en trois mois, la moyenne est plutôt de 18 mois. Donc même si des compromis sont annoncés, il y a de fortes chances que la pause sur les droits de douane mondiaux sera étendue de 90 jours, le temps de traiter avec 150 pays.

Il faudra aussi surveiller l’impact sur les secteurs pharma et semi-conducteurs, qui seront certainement ciblés. Les marchés sous-estiment encore la volatilité à venir.

Quelles innovations ou transformations technologiques pourraient avoir un impact macro majeur d’ici 2030 ?

Plusieurs secteurs concentrent les investissements privés et publics. Les semi-conducteurs et l’intelligence artificielle sont centraux. L’IA progresse rapidement, même si elle reste loin de produire des prévisions fiables sur des tâches complexes. Les véhicules électriques restent également une grande thématique car il n’y a pas de substitution à grande échelle pour l’instant.

La robotique et l’automatisation, notamment dans la logistique, vont continuer de croître fortement. La défense est un autre secteur clé, avec les drones en pilier central. La course aux armements et à la recherche en défense est relancée partout : États-Unis, Europe, Asie. C’est un changement structurel qui va durer au moins cinq ans.

En Asie, la Chine investit massivement en IA, ce qui mondialise encore plus la thématique des semi-conducteurs. Dans l’automobile, ces composants deviennent dominants. C’est donc une tendance de fond, malgré des périodes de volatilité liées aux restrictions ou réorientations stratégiques.

Quels secteurs attirent aujourd’hui l’attention des investisseurs institutionnels, parfois au-delà des fondamentaux réels ?

Les semi-conducteurs restent un indicateur avancé, cyclique et dominent aujourd’hui via le poids des plus grosses capitalisations US. Un secteur qui bénéficie d’un « biais psychologique » est le luxe : malgré des fondamentaux à court terme peu favorables pour la consommation discrétionnaire, il y a une constante réallocation vers ce secteur. Mais globalement, je ne vois pas d’autre biais majeur à court terme.

Si vous étiez gestionnaire d’un grand fonds européen, quelles priorités stratégiques auriez-vous ?

Aujourd’hui, nous réallouons vers les États-Unis, car les baisses d’impôts arrivent et la déréglementation financière commence, ce qui favorise la performance US.

Si je devais être cantonné à l’Europe, je jouerais à court terme le secteur immobilier, qui bénéficie de la baisse des taux courts et d’une inflation sous-jacente en normalisation. L’Allemagne serait ma zone privilégiée, car elle a compris la gravité de sa situation et réagit avec des stimuli fiscaux et des baisses d’impôts, avec encore beaucoup de marge d’action.

Je privilégierais également la défense, malgré la cherté du secteur, car il attire des flux continus avec la création de fonds spécialisés. Enfin, je surveillerais la consommation discrétionnaire, aujourd’hui massacrée. Un rebond pourrait intervenir plus tard dans l’année, notamment si la croissance européenne et chinoise repartent et si des accords commerciaux avec les États-Unis rassurent les marchés.